Mayotte au décours du cyclone CHIDO. Témoignage de terrain

chido

24.12.2024

La connexion n’est pas revenue sur la plupart des communes de l’île, d’où le retard de mes nouvelles.

Cyclone contournant la pointe nord de Madagascar, qui habituellement les annihile ou les amoindrit, Chido (signifie miroir en shimaoré, la langue locale !) a touché le nord surtout, puis le centre de Mayotte.

C’est le 14 décembre, samedi matin, que pendant 4 bonnes heures le cyclone a soufflé. Les cabanes dont les murs et toits étaient en tôle ont volé dès la première heure, puis de nombreux toits de maisons en dur ont suivi.

La population était déjà prévenue, depuis 48h.

Les écoles (au tout début des vacances scolaires), MJC et autres bâtiments publics avaient été ouverts aux habitants à risque. Taux de remplissage variable, les sans-papiers se méfiant des autorités et des gendarmes.

D’emblée et pour une semaine, l’eau courante et l’électricité ont été coupées. Pour de nombreuses familles, le manque d’eau potable a été éprouvant.

Si le chef-lieu de département Mamoudzou a vite bénéficié d’une reprise de ces services, le reste du tiers nord, notamment le nord-ouest ; ainsi que le tiers central de l’île n’ont commencé à les retrouver que dimanche soir, 22.12.

Les connexions téléphoniques et internet dans ces zones ne sont pas revenues pour les principaux serveurs : Orange, SFR, Free,.. , à l’exception d’Orange pour le téléphone.

Les dégâts :

– Humains : beaucoup plus faibles que les images télévisées du premier jour pouvaient le laisser craindre. Un confrère mahorais, enraciné dans cette île, me disait n’avoir entendu parler  d’aucun décès dans au moins quatre communes de la zone centrale, quatre jours après le passage du cyclone.  Au 1er janvier on les estimait à 39, chiffre plausible.

Au dispensaire, nous avons vu une surmorbidité, faite de blessures par clou ou tôle, en général au niveau des jambes. Environ trois fois plus de traumatismes en tout que d’habitude. Ils diminuent maintenant, d’autant que la reconstruction de ces mêmes cabanes, économiques et rapides à construire, approche de la fin pour de nombreuses bangas. Pas d’épidémie.

– La végétation, au nord et au centre, est dévastée. Arbres écrêtés, sans branches, au tronc cassé voire même déterrés.

– La faune a souffert : projetés par le vent, la volaille, les oiseaux, des makis (singes locaux), des chiens et chats n’y ont pas survécu.

– L’agriculture mettra 6 à 12 mois à s’en remettre, selon les agriculteurs eux-mêmes.

– Des bâtiments publics ont été bien abîmés : le grand lycée du nord, à M’tsangadoua qui faisait face à la mer, plusieurs autres écoles, elles aussi dans le nord, etc. Il est douteux que la rentrée prochaine des élèves de ces écoles se fasse en janvier. Cette partie de l’île recevait beaucoup de migrants…

– Les structures de santé ont mieux résisté : des toits en partie arrachés, des câbles électriques abîmés et exposés à la pluie. Y travailler sans eau courante ni électricité fut un défi : plusieurs jours dans une semi-pénombre, éclairés par des lampes frontales pour suturer ou écrire des observations et ordonnances ! Heureusement ces deux lacunes sont en voie d’amélioration.

– Les habitations privées : l’intérêt des maisons en tôles est leur très faible coût, leur simplicité et rapidité de construction. La majorité d’entre elles ont été réparées voire reconstruites les semaines suivantes.

L’adaptation et la résilience des humains aux cataclysmes est visible ici aussi.

Comme nous le savons dans l’humanitaire, le niveau de richesse rend très inégales les conséquences des catastrophes naturelles, que ce soit entre les pays où entre les classes sociales elles-mêmes. Les plus riches résistent mieux puis se reconstruisent plus vite. Même si à Mayotte, au moins pour leurs murs et leurs toits, les plus pauvres les ont rebâtis plus vite, facilité mais aussi nécessité oblige.

Mayotte était-elle préparée à la hauteur qu’exige son statut de département français ? Son administration locale, sa préfecture, ses responsables sanitaires et sécuritaires ne me semblent pas avoir trop démérité, dans le cadre de leurs possibilités du moment. Par contre, l’état des habitations des plus pauvres – un bon tiers de la population -, les dégâts dans les bidonvilles, le retour de la pénurie d’eau pointent les travers d’un État, au niveau local comme national, avare envers la majorité parce que prodigue à l’égard d’une minorité, et répressif en conséquence.

En somme, l’île devra :

– Poursuivre la réparation de son réseau d’adduction d’eau , déjà en cause dans la pénurie de ce bien vital l’an passé. À noter un déboisement massif lié au cyclone, alors que la rétention de l’eau des collines par les arbres est une nécessité déjà connue pour freiner la pénurie hydrique.

Petite note d’espoir : début janvier, les arbres se garnissent déjà de feuilles vertes à leurs branches

– Réparer le réseau d’électricité : nombreux pylônes effondrés, lignes coupées ; ainsi que les connexions internet. Le 4 janvier, il restait selon EDF 30% de ménages sans électricité.

– Importer davantage de denrées alimentaires pour les prochains trimestres, alors que les minima sociaux sont les plus bas de France, situation illégale de fait ( RSA, SMIC ,…) pour une population considérée pour ses trois quarts sous le seuil de pauvreté. Un chômage à 37% pour les mahorais, plus de 50% pour les jeunes. Il faudra remettre ces minimas en cause, ainsi que relancer l’activité économique, ce que de grands travaux : routes, écoles, etc.. aideraient à réaliser.

– Réparer et construire de nouvelles écoles, domaine dans lequel Macron a refusé depuis son premier mandat de suivre l’évolution démographique locale, poussant les élus locaux et la population mahoraise à rejeter la responsabilité de cette pénurie sur les enfants sans papiers (plus du tiers des enfants actuellement scolarisés). 10 000 enfants étaient déjà non scolarisés, combien seront-ils les prochains mois ? Avant le cyclone, la moitié des écoles fonctionnait en alternance, une moitié d’élèves le matin, l’autre l’après-midi… Sans parler des internats, pratiquement inexistants, des cantines, absentes dans la moitié des collèges et lycées.

– Maintenir une situation sanitaire pourtant déjà critique : densité médicale quatre fois plus basse qu’en métropole, reposant à 90% sur les médecins du secteur public, des sages femmes en sous-nombre, au point d’avoir dû fermer deux maternités sur quatre en dehors du chef-lieu, alors qu’il s’agit du département ayant la plus grande fécondité de France !

Elle ne pourra pas le faire sans l’aide de l’État.

Serait-ce possible avec un président de la république qui gouverne en autocrate et lâche des phrases du genre  » Le problème des urgences dans ce pays, c’est que c’est rempli de Mamadou », ou  » Si c’était pas la France vous seriez 10 000 fois plus dans la merde » ?

Qui est responsable de la crise à la fois aiguë et chronique des secteurs hospitalier, de l’éducation, de la justice, avec des DOM situés en bout de chaîne pour les ultra-libéraux qu’il représente ?

Nous n’avons pratiquement aucune raison d’espérer davantage qu’un colmatage minimaliste, ne tenant évidemment pas compte des migrants, qui représentent selon l’INSEE le tiers de la population.

L’élite politique locale, élue par les mahorais, dirige le département, se soumet docilement à tout gouvernement français et est composée de notables, d’arrivistes, de conservateurs voire de sympathisants de l’extrême droite. La logique économique – de plus en plus faible- derrière les choix faits à Mayotte n’est plus coloniale, cinquante ans après son rattachement à la France mais libérale. Elle s’appuie sur les convergences politiques locales et nationales, qui in fine permettent d’écarter l’idée de rattraper en temps voulu le retard pris sur les autres départements français.

Pour Mayotte, la gauche doit prendre le relais, ce qu’heureusement elle a bien commencé à faire avec les points du programme du Nouveau Front Populaire de 2024 concernant l’île : alignement des droits sociaux sur la métropole, régularisation massive des migrants avec arrêt de leur limitation de mouvements au seul département, investissements à la hauteur des nombreux besoins dans les services publics, etc.

18.1.2025

L’eau est revenue dans la plupart des endroits mais pas tous. L’électricité manque encore pour le quart de la population de l’île et les progrès de raccordements sont plus lents.

La végétation surprend par le retour des feuilles dans les arbres, souvent amputés, dès la fin de la deuxième semaine après le cyclone. Plusieurs dizaines de makis, privés de continuité arbustive ont été écrasés sur les routes pour avoir dû les traverser à pied.

La connexion internet, hors Mamoudzou, est encore instable, voire inexistante, aggravée par des opérateurs comme Free, peu pressés de réparer leurs antennes.

Le bilan final au 10 janvier 2025 de la préfecture est de 40 morts et autant de disparus (dont une bonne partie vit encore, ayant simplement changé de lieu après avoir perdu sa maison). C’est plausible, malgré le contraste entre les dégâts matériels et ce faible nombre. En fait, en plus des édifices publics : écoles, mairies… De nombreux mahorais ont hébergé, protégé des comoriens. Car presque tous les mahorais utilisent la main d’œuvre clandestine, beaucoup moins chère, tout en votant à droite voire à l’extrême droite, la gauche n’y étant pas encore une alternative en raison de sa réticence passée à reconnaître Mayotte comme Française.

Notre centre de santé fonctionne quasi normalement à présent, comme les autres centres de l’île. Un hôpital de la direction civile (le réseau national des pompiers) s’est installé près de Mamoudzou et décharge l’hôpital départemental de différentes actions, dont des consultations.

Des pompiers de métropole sont venus et aident donc dans le domaine médical et en logistique (routes, électricité, connexion internet,..).

Les écoles sont nombreuses à ne plus pouvoir accueillir tous leurs élèves. La rentrée est déjà repoussée pour leur majorité au 27 janvier, et encore plus tard pour plusieurs établissements du nord. Avant le cyclone, sur plus de 120 000 enfants d’âge scolaire, près de 10 000 ne sont pas scolarisés.  Les deux-tiers des écoles avaient déjà dû se résigner à un enseignement par rotation (une moitié des élèves le matin, une autre moitié l’après-midi), le quotidien dans plusieurs pays africains… Après Chido, 29 écoles sur les 321 de l’île sont abîmées, majoritairement des écoles primaires. Des élèves iront probablement s’ajouter à ces classes surchargées… qui en outre manquent d’enseignants dans près de la moitié des établissements.

Le taux d’échec scolaire et surtout post-bac est pourtant l’un des plus élevés de France.

C’est ainsi que l’on peut craindre une nouvelle pression en effectifs scolaires dans les établissements de l’île, avec plus de rotations (synonymes de baisse du nombre d’heures de cours). 

Médecins Sans Frontières -présents depuis décembre sur l’île- critique déjà sévèrement le gouvernement pour ses mesures davantage tournées contre les étrangers, telle l’interdiction de vendre des tôles aux sans-papiers (pour les empêcher de reconstruire leur cabane), que vers le sanitaire lorsque le nombre de repas par jour a diminué dans ces foyers. La difficulté d’obtenir de l’eau, besoin vital s’il en est, a augmenté pour ce tiers le plus pauvre de la population.

Les ressorts de la xénophobie, déjà bien entraînés, vont alors sans doute s’accentuer, alors qu’au niveau national différentes mesures anti-étrangers visant Mayotte vont être proposées par la Macronie, trop heureuse de si peu investir dans ce département, pourtant massivement pro-français, en tournant davantage les critiques vers les sans-papiers.

La Confédération Internationale Solidaire et Ecologiste (CISE) rejette cette politique du bouc émissaire, demande l’alignement des droits et devoirs des mahorais sur les Français de métropole, la régularisation massive des migrants, à commencer par les lycéens pour étudier en métropole, et les respect des conventions internationales sur le droit des migrants et de l’enfance.

Vincent Buard
Président de la CISE
Médecin au Centre de Référence Médical de Kahani (du réseau hospitalier de l’île)
Mayotte

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