Ces Français vivant hors de France, que l’on connaît si peu

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Les Français établis hors de France suscitent peu d’intérêt dans le débat public ou politique. Ce manque de visibilité s’explique par des facteurs objectifs. Leur sociologie gagnerait à être mieux cernée.

Comment les appeler ?

Dans un pays d’immigration, l’idée que des Français puissent vivre en dehors du territoire national, voire métropolitain, ne va pas de soi. Il était d’ailleurs difficile de mettre des mots sur la chose, en l’occurrence un phénomène migratoire dont la France serait le pays émetteur et non récepteur. Aussi, ne faut-il pas s’étonner qu’au tournant du siècle le droit français ne recense pas moins de sept appellations pour désigner cette population, au premier rang desquelles on trouve « Français de l’étranger » et « expatriés ». La loi du 9 décembre 2004 sur la simplification du droit réclame plus de cohérence sur l’emploi des termes juridiques. Le ministère des Affaires étrangères prépare l’ordonnance du 12 mai 2005 dans laquelle les ambiguïtés sont levées. L’article 24 de la constitution est dorénavant la principale référence pour désigner les « Français établis hors de France » dans le droit positif. Ce texte de référence donne une base légale qui repose sur trois critères : la nationalité française, « l’établissement à travers la résidence habituelle » celle-ci étant localisée à l’étranger1. Cette construction juridique s’appuie sur l’opposition classique entre « domicile » et « résidence » dans le droit français sachant qu’un(e) Français(e) « établi en France » ne peut avoir qu’un domicile (où il paie ses impôts ) mais il ou elle peut disposer de plusieurs résidences

Un autre terme, riche de sens, est assez révélateur de l’impensé migratoire associé à l’identité française : jamais le terme « émigré » n’est utilisé pour parler des Français installés hors de France. Et pourtant, ces Français-là sont bien des émigrés, français, car ils vivent, de manière temporaire ou définitive, à l’étranger. L’émigré rappelle que de l’autre côté de la frontière, il ou elle devient un(e) immigré(e). Certains Français de l’étranger pourraient être ainsi indisposés d’être qualifiés de la sorte. Dans le discours national, l’immigré demeure la figure de l’autre, pas le concitoyen vivant au loin. En outre, que des forces vives puissent quitter notre pays ne correspond pas non plus à l’imaginaire social et politique national.

Des indicateurs flous peu mis à jour, par négligence étatique

Au 31 décembre 2023 (rapport 2024), cette population s’élevait à 1,7 million (1 692 978 (2)). La comptabilité s’appuie sur les registres consulaires dans lesquels les Français s’inscrivent quand ils à l’étranger. Tous ne le font pas. En ajoutant les non-inscrits, le ministère des Affaires Etrangères évalue cette communauté à environ 2,5 millions d’individus. Selon l’INSEE, hélas trop peu sollicité pour suivre cette population, elle pouvait être estimée en 2018 entre 3,3 et 3,5 millions, soit le double des Français inscrits sur les listes consulaires.

Toutefois, malgré ces écarts, on peut avancer qu’entre 2,5 et 5% de la population française sont émigrés.

Dans la mesure où le ministère des Affaires étrangères a le contrôle des sources, il a aussi le monopole du commentaire. Les rapports annuels l’illustrent bien. La répartition géographique est aussi un passage obligé. 5 pays accueillent plus de 40% des inscrits, principalement des pays frontaliers et/ou développés (rapport 2024) (2) : Suisse, Etats-Unis, Royaume Uni, Belgique, Allemagne. Autour de 50% des Français « émigrés » sont en Europe, 20% aux Amériques (surtout aux Etats-Unis ou au Canada), plus de 20 % en Afrique et le reste en Asie-Océanie.

Plus précisément, la majorité des Français vivant hors de France réside dans la capitale de leur pays d’accueil.

Ces Français sont plus jeunes que les métropolitains : 15 % ont plus de 60 ans pour 27% en métropole, 25% d’enfants (moins de 18 ans) contre 21%.

Avec des biais connus de surreprésentation des professions aisées et diplômées, enregistrées au consulat et citadines, une enquête en ligne réalisée de septembre à décembre 2012 par la « Maison des français de l’étranger » auprès de 9.000 citoyens expatriés (3) montrait plusieurs caractéristiques:

53 % des expatriés avaient un niveau d’études supérieur au Bac + 2 contre 12,5 % en métropole.

D’une part, 33,3 % des personnes interrogées s’affilliaient aux cadres d’entreprise, et d’autre part près de 24,6 % indiquaient appartenir aux personnels de la fonction publique et assimilés

79% des Français vivant hors de France possédaient un emploi en 2011 (64% en métropole) et près de 57% (soit plus de la médiane) déclaraient gagner plus de 30.000 € nets par an. La moitié d’entre eux (28%) disaient percevoir plus de 60.000 € annuels nets alors que 19% déclaraient moins de 15.000 €.

Selon l’INSEE, en 2011, le revenu médian en métropole était de 19950 euros annuels.

Une comparaison plus fine s’impose, avec avant tout le même échantillonnage social entre expatriés et Français de métropole, des revenus déclarés précis, une évaluation pays par pays du coût de la vie local.

Depuis 2012, Il nous apparait probable que l’écart de niveau de vie entre ces deux communautés françaises se soit réduit : effet de l’augmentation massive des diplômés du supérieur en métropole, nettes hausses des coûts de scolarité, des cotisations sociales et diminution sensible des aides de l’Etat Français pour les Français Hors de France , ..

Après cette étude, aucune nouvelle enquête socio-économique n’a été rendue publique.

Un recensement démographique et social basique estompé par l’objectif de rentabilité pour l’Etat

On devine un paradoxe entre une émigration française en augmentation et une baisse tendancielle des services consulaires. La charge de travail dans les consulats ne cesse donc d’augmenter et bien des Français se sentent découragés quand il s’agit d’aller faire des démarches administratives que les gouvernements successifs de métropole rendent plus difficiles faute de personnel. Il

semblerait que le mot d’ordre depuis quelques décennies pour les Français hors de France soit la baisse des dépenses.

En 2018, Anne Genetet, alors députée de la 11e circonscription des Français de l’étranger, fut la première à noter que les transferts de fonds des migrants français – vers la France- étaient passés de 10 à 25 milliards d’euros entre 1995 et en 2015. Cette vision économique a-t-elle joué dans sa nomination surprise au gouvernement ?

La nature changeante des Français de l’étranger

L’émigration française est d’une grande diversité, buissonnante, pour reprendre le vocabulaire des paléontologues. Ses grandes vagues du passé sont les guerres de religion – avec un exode massif de protestants- puis la colonisation. Après les indépendances justement, un modèle s’est développé. Le plus grand réseau diplomatique derrière les Etats-Unis et la Chine a été caractérisé par une insistance sur la culture et l’éducation. L’enracinement dans les pays dépendait en général du poids des familles binationales, parfois des entrepreneurs qui avaient choisi de s’installer dans le pays en y fondant une famille. C’est ainsi qu’actuellement 42% des Français vivant hors de France sont binationaux.

Ils sont français, toujours ravis de parler leur langue. Leurs enfants qui parlent beaucoup mieux l’anglais se croisent dans les écoles françaises (392 000 enfants dont le tiers de Français), de plus en plus dans les écoles anglo-saxonnes, mais ils font de moins en moins l’effort d’aller dans les Alliances françaises ou au raout à l’ambassade du 14 juillet. Leur citoyenneté importe finalement beaucoup moins que leur mode de vie – pour ne pas dire leur appartenance de classe.

Clivages sociaux, négligence étatique

Car la différence principale entre les Français hors de France, c’est le revenu. Contrairement à l’idée que tous vivent bien, à la manière des expatriés autrefois et des exilés fiscaux d’aujourd’hui, beaucoup – sans que l’on puisse véritablement le quantifier – se trouvent en difficulté surtout en Afrique et en Asie. Pour les familles, l’école française est toujours payante, voire très onéreuse, quand seuls 20% des élèves français à l’étranger perçoivent des bourses. Il n’y a pas de protection sociale à prélèvements comparables en dehors du territoire français.

Les plus hauts revenus, comme en métropole, peuvent minimiser ces prélèvements en ayant plusieurs sources non imposables, en bénéficiant du « bouclier fiscal » cher à Sarkozy (et coûteux à la France), en déclarant leur résidence principale à l’étranger alors qu’elle est en métropole, ou en ne déclarant leur source de revenus ni au pays d’accueil ni à la France,..

La faiblesse matérielle, législative, en ressources humaines du centre des impôts des non-résidents, parallèle à l’appauvrissement des services du trésor en métropole, sont deux évolutions voulues par les ultra-libéraux qui nous gouvernent. Elles lui permettent de s’investir toujours moins dans les besoins communs des citoyens, intra ou extra muros et aboutir à une atomisation de la société, ainsi politiquement neutralisée. .

Quant aux médias, en dehors des crises sécuritaires et des capitales, ils ne donnent pratiquement pas d’aperçu de ces Français.

La communauté des français à l’étranger est une mosaïque, changeante au fil des décennies, mais gardant des points communs importants : l’immersion dans d’autres sociétés, une plus grande ouverture aux autres cultures, un recul critique plus conséquent sur l’évolution de la France. Son évolution démographique, sociologique, se traduit aussi électoralement comme nous le verrons plus tard. Mieux cerner les Français vivant hors de France est le devoir de l’Etat. Agir pour une répartition plus égalitaire des richesses et pour la préservation de l’écosystème mondial est celui de notre organisation, la Confédération Internationale Solidaire et Ecologiste.

Vincent Buard

Confédération Internationale Solidaire et Ecologiste (CISE)

16 octobre 2024

(1) Journal officiel de la république française (JORF), 14 mai 2005, Ordonnance du 12 mai 2005 sur Les Français hors de France, p. 26. (2) https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_gouvernement_2024_cle077bbb.pdf

(«3) : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/Enquete_expatriation_2013_cle049946-2.pdf

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