JD Vance, vice-président des Etats-Unis d’Amérique, utilise des mots bien rodés dans le langage journalistique et même dans certaines formes de pensée contemporaine. Ainsi, le mot « valeur », très à la mode, désigne souvent les éléments d’une liste qui caractérise un ensemble dit « civilisationnel » par opposition à d’autres ensembles, ayant d’autres listes, d’autres « valeurs ». Le monde ressemble alors à un plateau de jeu où chacun s’allie, ou s’oppose, à l’autre, selon un ensemble de « valeurs » partagées, ou non. L’opposition peut être sourde ou violente, mais elle se justifie par un rapport de force qui n’est pas – de prime abord- de l’ordre économique. Elle fait appel à des notions religieuses (nos sacrés sont incompatibles), culturelles (nous n’avons pas la même conception de l’être humain), historiques (nos trajectoires sont très différentes, il y a une rancœur tenace, ou bien, les rapports de domination entre nous sont de tous temps).
Face à cette forme de pensée, développée, entre autres, par Samuel Huntington (« Le choc des civilisations », 1996), et malgré le fait qu’elle réintroduit, heureusement, la prise en compte de facteurs culturels dans la compréhension des relations internationales, il y a, semble t-il, un postulat non critiqué : la conflictualité du monde de l’après guerre froide est engendrée par un présupposé de conflictualité inéluctable de « valeurs ». Et le serpent se mord la queue. Car opposer des valeurs qui sont attachées à de soi-disant aires civilisationnelles, c’est produire ce que l’on cherche, faire advenir ce qui est, apparemment, redouté : des blocs identitaires, restant statiques au fil des millénaires, en dépit de l’histoire de l’humanité.
Ce « recul des valeurs » européennes, « valeurs » soi-disant défendues aussi par les Etats-Unis d’Amérique, provoque l’inquiétude de monsieur Vance car il menacerait la démocratie européenne. L’exemple pris dans son discours est celui de la liberté d’expression, « valeur » qui serait l’apanage des sociétés dites « occidentales ». Renier cette « valeur », en interrompant un processus électoral en Roumanie, ou en tenant l’Afd (Alternative für Deutschland) pour un parti non fréquentable, malgré son score, serait signe d’une démocratie en perte de vitesse, faible car peu sûre d’elle-même.
Comme dans beaucoup de cas, la riposte européenne à ce genre de discours reprend les mêmes rails : « Personne n’est obligé d’adopter notre modèle, mais personne ne peut nous imposer le sien ». Jean-Noël Barrot parle de « modèle » comme d’un synonyme d’« ensemble civilisationnel ». Et le « nôtre » s’oppose inéluctablement au « vôtre » ou au « leur ». Au lieu d’utiliser la force du discours contre lui, il pense le contrer en utilisant sa rhétorique. « Écouter ce que votre peuple dit » pourrait ainsi être repris comme une injonction positive : notre peuple – la majorité des Roumains, ne souhaite pas que les élections soient manipulées ; notre peuple, – la majorité des Allemands, ne veut pas d’un parti ouvertement révisionniste.
La menace réelle pour la démocratie ne réside-t-elle pas dans ce (relativisme) gel éternel des « valeurs » et la perte d’une recherche tenace, acharnée, de l’universel ? Au prix du doute, au risque de l’échange, au bonheur de la rencontre de l’autre, de l’épanouissement collectif par l’enrichissement des cultures, précisément !. Français de l’étranger, de cultures voire de nationalités mélangées, membres de la Confédération Internationale Solidaire et Écologiste (CISE), nous combattons résolument ce discours d’exclusion, vecteur de xénophobie.
Pascal AUDE.