CISE logo

Les Français de l’Etranger et le Nouveau Front Populaire

lucie castets 2024

La recherche de financements par la première ministre putative remet les Français de l’étranger au centre de l’actualité. Les deux millions et demi de Français vivant hors de France sont si peu évoqués dans le débat politique que l’on peut se demander si cette fois encore les émigrés français ne seraient qu’une commode variable d’ajustement.

Le programme, tout le programme rien que le programme

Dans une interview donnée au Journal du dimanche le 28 juillet 2024, Lucie Castets la candidate proposée au poste de premier ministre par le Nouveau Front Populaire (NFP) affirme vouloir taxer les Français de l’étranger en s’appuyant sur l’exemple des Etats-Unis qui soumet à l’impôt ses ressortissants hors des frontières nationales. En se fondant sur le principe de la nationalité (et non sur celui de la territorialité), les détenteurs d’un passeport américain doivent donc déclarer tous les ans leurs revenus à l’administration fiscale fédérale. L’objectif de Lucie Castet est de trouver de nouvelles sources fiscales pour financer le programme du NFP tout autant que de faire respecter le pacte de stabilité européen qui fixe les limites du déficit public à 3% du PIB.

Or, cette mesure de justice fiscale fait-elle partie du programme de la coalition de gauche aux dernière élections législatives ? La réponse est non mais avec une nuance importante toutefois. La volonté de faire payer les Français hors de France ne fait pas consensus au sein de la gauche. Proposée par La France Insoumise (LFI) depuis les élections législatives de 2017, elle se heurte à la frange sociale-démocrate du NFP (le parti socialiste et ses structures dissidentes comme Place publique ou Génération.s). Comme il fallait un programme consensuel au sein de la gauche, elle n’a pas été reprise dans la plateforme du NFP. Karim Ben Cheïkh, seul élu (Génération-s) du NFP parmi les 11 députés des Français de l’étranger en juillet, s’est d’ailleurs empressé de reprendre l’argumentaire classique du PS contre cette mesure.  Les Français de l’étranger ne sont pas des exilés fiscaux[1] même si parmi eux, force est de constater qu’il y en a. Vu de France, par méconnaissance essentiellement, les Français n’ont pas de mal à adhérer à cette représentation des Français partis à l’étranger pour échapper au fisc en métropole.

Et c’est bien toute la complexité de cette population insaisissable de Français qui vivent hors des frontières nationales. Contrairement à ce que l’expatriation a pu générer pendant les Trente glorieuses, aujourd’hui, sa sociologie est plus complexe.

Les Français de l’étranger ne sont plus ceux d’antan

Pays d’immigration, la France n’a jamais été un pays d’émigration. Après la Deuxième guerre mondiale, l’Institut national des études démographiques (INED) établit que 300 000 Français sont établis hors de l’empire, soit 1% de la population française. A la fin de la décolonisation, les entreprises françaises peinent à envoyer des cadres à l’étranger. C’est pour cette raison que les expatriés bénéficient d’avantages financiers importants. Ceux-ci limitent leur séjour à l’étranger et reviennent toujours sur le territoire métropolitain. Cette image de l’expatrié fortuné bénéficiant d’avantages salariaux et de conditions de vie exceptionnelles a duré jusqu’à nos jours alors que la réalité a profondément changé. Simon Gildas et Jérémy Guedj ont bien expliqué que l’expatriation n’est plus une aventure, personnelle ou familiale. Partir à l’étranger pour valoriser ses diplômes et sa faire avancer sa carrière sont devenus « un projet relativement banal[2] ». La recherche encore en cours sur les Français hors de France montre les contrastes entre des Français en situation de grande précarité et des expatriés fiscaux. Entre les deux, tous les cas de figure sont possibles avec des nuances géographiques. Si les Français dans les pays développés, dans l’Union Européenne, en Grande Bretagne, en Suisse ou aux Etats-Unis vivent dans des conditions matérielles proches de la France, les résidents des pays développés en Afrique ou en Asie sont eux matériellement beaucoup plus vulnérables. A ces nuances géographiques s’ajoutent encore des catégories comme celles des binationaux (40% des Français vivant hors-de-France), des retraités ou encore des enseignants des écoles françaises à l’étranger non titulaires de l’Education nationale.

A la différence des autres pays développés, la France a mis en place un système de représentation politique original. Sous la IVe république, en prenant l’exemple de l’empire, les partis politiques demandent que les expatriés soient représentés par des sénateurs pour les Français de l’étranger. 3 sénateurs représentent les Français pour l’Afrique et 3 pour l’Asie. Cette représentation parlementaire ne cesse d’augmenter. A partir de 1983, ce sont 12 sénateurs qui sont élus par un collège indirect. Le pli est pris et puisqu’il y a des sénateurs, la réforme constitutionnelle de 2008 divise le monde en 11 circonscriptions pour élire les députés des Français de l’étranger. Parallèlement, des conseillers élus localement sont supposés être le lien avec la population expatriée. En 1948, le Conseil supérieur de Français de l’étranger est créé pour donner des avis sur les « Français domiciliés à l’étranger ». Cette assemblée consultative devient l’Assemblée des Français de l’étranger. En 2013, la fonction de conseiller consulaire dévolue aux élus locaux complète le mille-feuille de la représentation des Français hors de France. Or, ces derniers semblent bouder leurs représentants. Le taux d’abstention pour les élections est autour de 80 % (à l’exception notable des dernières législatives, “seulement” un peu plus de 60%)

Sur l’ensemble de la période, force est de constater que les partis politiques sont à la manœuvre et voient en premier lieu leurs intérêts. En 1983, Guy Penne, le « Monsieur Afrique » de Mitterrand est élu sénateur des Français de l’étranger (1983-2004) sans jamais avoir vécu à l’étranger. Il représente moins les intérêts des expatriés que ceux du Parti Socialiste… métropolitain.

 Dans le même ordre d’idée, la création de 11 députés en 2008 sert invariablement la majorité présidentielle. Considérant les découpages des circonscriptions, bien que 40% des électeurs se soient prononcés pour le NFP en juillet dernier…, un seul député du Front Populaire a été élu. Représentation inique, enjeux nationaux, pour ne pas dire franco-français, nombreux parachutages, contribuent à l’abstention endémique lors des élections. Mais le véritable problème pour les 2,5 millions de Français hors de France n’est probablement pas là.

Le désengagement de l’État, là est le vrai problème

Depuis les années 1980, on assiste à un retrait constant de l’Etat dans le champ diplomatique et consulaire. En dépit d’une rhétorique de « politique d’influence » les personnels ont été réduits d’un tiers en 30 ans dans les services culturels par exemple. La mise en place, aussi discrète qu’efficace, de principes néo-libéraux a conduit à une réduction drastique des personnels, tant dans le réseau diplomatique (ambassades et consulats) que dans le réseau culturel (Alliances Françaises) ou dans le réseau de l’Enseignement français à l’étranger (EFE). Cette politique pèse considérablement sur le quotidien des Français de l’étranger.

Une grande diversité de Français hors de France suppose une aussi grande diversité de relations avec la France. On peut néanmoins distinguer trois grands axes structurants. Tout d’abord l’école. Le réseau de l’EFE, tant vanté par la diplomatie culturelle, s’achemine lentement mais sûrement vers une privatisation totale des toutes les écoles. Or, la privatisation précède une augmentation des frais d’écolage (l’école française n’est pas gratuite à l’étranger). Pour certaines familles, ces dépenses sont d’ores et déjà excessives (plus de 20 000 euros annuels à Pékin, de 40 000 à New York, etc..). On arrive ainsi au paradoxe suivant comme aux Etats-Unis où les écoles françaises accueillent majoritairement des élèves… qui ne sont pas français : en 2023, seulement un tiers d’entre eux avaient la nationalité française. La tendance actuelle est d’ailleurs que les familles françaises inscrivent leurs enfants dans les écoles anglo-saxonnes ou dans les écoles locales. Ensuite, les consulats fonctionnent de manière endémique en sous-effectif. La digitalisation des procédures a eu un effet pervers, à savoir que les Français ne se rendent au consulat, souvent avec des délais d’attente considérables, que quand ils ne peuvent pas faire autrement. Enfin même si les réseaux sociaux entretiennent une sociabilité transnationale, les résidents sont très attachés au service public de l’audiovisuel : TV5 ou Radio France Internationale pour ne nommer que les plus importants. Ce lien insaisissable, et pourtant essentiel, est sans cesse compromis. La réforme de Rachida Dati en a fourni récemment une illustration. Au total, le lien des Français de l’étranger avec la France s’est distendu en raison du recul de l’Etat pour de supposées « contraintes budgétaires ».

Très préoccupée par la dégradation des services publics, Lucie Castets ne parle pas de cette évolution mais de la seule imposition différentielle, basée sur le modèle états-unien, consistant à faire payer la différence entre des impôts plus faibles dans le pays d’accueil et leur montant théorique en France. N’ayant pas la même force de frappe que les U.S.A. pour imposer ses vues à l’étranger, notamment aux banques locales, la France doit miser davantage sur le consentement à l’impôt de ses concitoyens vivant hors de son sol. Ce consentement serait probablement bien plus fort si les services publics, scolaires, consulaires, culturels voire sanitaires étaient quantitativement et qualitativement proches de ceux de métropole.

 La Confédération Internationale Solidaire et Écologiste, association d’expatriés de gauche, est la seule association de Français de l’étranger voulant ce rapprochement des droits et des devoirs avec nos concitoyens de métropole (https://cise-francaisdeletranger.net/le-programme/).

Le Nouveau Front Populaire a tout à gagner à faire le même constat.  

Vincent Buard

Président de la Confédération Internationale Solidaire et Écologiste (CISE)

14 août 2024


[1] Rachid Hallaouy, « Karim Ben Cheïkh : “Il faut trouver la parade efficace à l’évasion fiscale” » in Les Français press, 4 août 2024, https://lesfrancais.press/karim-ben-cheikh-il-faut-trouver-la-parade-efficace-a-levasion-fiscale/?utm_campaign=Hebdo%20331&utm_medium=email&utm_source=Mailjet

[2] Simon Gildas, 2015, Dictionnaire des migrations internationales : approche géohistorique, Paris, PUF, p. 47.

Partager sur :

Nos articles similaires

Sursaut prometteur pour la gauche ?

Le sursaut de la gauche française doit davantage s’inscrire dans le temps et l’espace.

Pas mal

Si l’émergence de l’extrême-droite n’invite pas à regarder l’avenir avec optimisme, l’union des forces de gauche est aussi un point positif qu’il ne faudrait pas sous-estimer.

Dubaï la rouge

Jamais on n’aurait pu prévoir des législatives anticipées au terme des élections européennes ; jamais on n’aurait pu prévoir que, pour la première fois, un parti de gauche radicale arriverait premier à Dubaï.